Santé mentale au travail : entre accompagnement individuel et prévention des risques


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Du côté de l’individu : accompagner une personne en souffrance

Toutes les études actuelles et divers baromètres relèvent une augmentation du stress au travail, et par-là une dégradation de la santé mentale des collaborateurs. Souvent, lorsque j’accompagne une personne en transition de carrière (licenciement ou convention), je constate qu’il ne lui est pas possible de se mettre directement à la recherche d’un nouvel emploi. Il faut commencer par soutenir la personne et lui permettre de se relever. Si, bien entendu, le choc vécu explique cette impuissance momentanée, bien souvent aussi, c’est la pression, les tensions et/ou la fatigue intense qui ont précédé la rupture qu’il faut accompagner. 

Lorsque j’explore avec ces clients quelles sont les raisons qui les ont menées en état d’épuisement professionnel, ce sont essentiellement des raisons externes à leur zone d’influence qui émergent : une nouvelle culture managériale, des objectifs très élevés, voire parfois inatteignables, des conflits non gérés, … Si les personnes concernées ne perçoivent pas toujours leur zone de pouvoir et privilégient une attribution externe de leur problématique et qu’il est parfois nécessaire de les inviter à remettre certaines choses en question dans leur mode de travail, de la fumée s’échappe du dessous de ma casquette d’intervenant en santé au travail ; si la prévention primaire avait été prioritaire dans le cas ci-dessous, ces écueils auraient pu être évités.

Nathalie* œuvrait dans une entreprise comme responsable de la communication. La nouvelle direction s’était vue imposée comme mission de couper drastiquement les coûts de fonctionnement de certains secteurs. Le manager direct de Nathalie (le nouveau directeur), soucieux d’atteindre ses propres objectifs, la supervisait de très près, lui faisant ainsi ressentir une perte de confiance. Les objectifs fixés lui paraissaient hors de sa portée et manquaient de priorisation. Cumulant les heures de travail, la pression et le flou organisationnel, elle tenta vainement d’exprimer son désarroi à son responsable, perdit peu à peu le sens de son travail et se replia sur elle-même. Après six mois d’arrêt de travail, ils convinrent d’un commun accord de mettre un terme à son contrat et lui proposèrent un outplacement.

Dotée d’une personnalité entreprenante, couplée malgré tout à une vision positive, Nathalie a bénéficié de mon soutien durant moins de quatre mois avant de retrouver un nouveau poste. Résiliente, elle a rapidement su trouver les ressources en elle-même pour se projeter vers un nouvel avenir prometteur. Ce n’est pas le cas de tous mes clients ; certains restant figés dans un passé mélancolique avec le regret d’avoir été écartés d’une organisation qu’ils aimaient…

Du côté de l’organisation : utiliser le modèle de Karasek pour prévenir les risques

Je rappelais, dans un article paru en mars 2024 dans HR Today, les trois niveaux de prévention dont les entreprises auraient tout intérêt à tenir compte dans leurs processus de promotion de la santé au travail. C’est sans doute au niveau de la prévention primaire que des moyens conséquents devraient être investis, c’est-à-dire au niveau de l’organisation du travail. À ce titre, le modèle de Karasek, toujours actuel, associe les facteurs de : 

  • Exigences 

  • Marge de manœuvre 

  • Soutien social (facteur ajouté plus tard dans le modèle)

Comme le montre le schéma ci-dessous, quatre situations de travail peuvent ainsi être rencontrées :

 

L’association de grandes exigences avec une faible marge de manœuvre et de décision (autonomie) est particulièrement délétère pour la santé mentale, ce qui était le cas de Nathalie. Si l’on y ajoute un manque de soutien social, la situation devient davantage encore préjudiciable. D’autant plus si elle s’inscrit dans une longue durée.

Comment le modèle de Karasek aurait-il pu aider la nouvelle direction de l’entreprise de Nathalie et les directions en général à évaluer les sources de stress dans leurs équipes et à mettre en place des mesures pour les réduire ? La première étape de ce modèle consiste à estimer la charge psychologique imposée au collaborateur ; que ce soit au niveau de la quantité de travail exigée, de la complexité des tâches, ou des contraintes temporelles qui leur sont associées. La seconde vise à s’assurer que les employés ont des possibilités d’organisation et de décision appropriées ; qu’ils disposent d’une marge de manœuvre. Enfin, la dernière étape a pour but d’évaluer les supports sociaux existants, que ce soit de la part des collègues ou des supérieurs hiérarchiques ; dont le rôle sur la santé et le bien-être n’est plus à démontrer. 

Une fois les sources de stress évaluées en suivant le modèle de Karasek, il devient plus aisé d’adapter son style de management et de se demander : les équipes sont-elles encouragées à performer dans une zone de « travail actif » (hautes demandes et haut contrôle) et à transformer les défis en opportunités de développement, ou au contraire se sentent-elles rigidifiées dans une zone de « stress » (hautes demandes et faible contrôle) dans laquelle il conviendrait d’augmenter leur autonomie et leur implication dans les décisions ?

Certaines mesures concrètes deviennent parfois nécessaires : est-il envisageable de réduire temporairement les demandes excessives en modifiant les priorités, en allégeant la charge de travail et en reclarifiant les objectifs ? Peut-on augmenter l’autonomie des collaborateurs en les impliquant d’une manière ou d’une autre dans les décisions stratégiques ; ont-ils des propositions de changement ? Faut-il mettre en place des points réguliers d’écoute ou des espaces de discussion entre collègues ? 

En somme, le modèle de Karasek offre un cadre précieux pour accompagner les directions dans la gestion de leurs équipes car il permet de cibler des ajustements stratégiques, de réduire les tensions et d’engager les collaborateurs dans une dynamique positive.

 

Lausanne, le 24.04.2025

Stéphane Quarroz

Psychologue FSP, Spécialiste santé au travail

 

*Prénom fictif